Le 18 novembre 1994 arrivait dans les bacs ce que Renaud considère comme son album préféré dans toute sa carrière.
Le 29 novembre prochain sortira un coffret 3CD + DVD + 2 vinyles pour célébrer les 30 ans de À la Belle de Mai, paru en 1994. À cette occasion, Renaud l’a annoncé sur les réseaux sociaux en le présentant comme « son album préféré de toute sa carrière ». Il est vrai que l’écriture y est très juste avec ce mélange caractéristique de tendresse, d’humour, de révolte, et de nostalgie. Les 12 chansons offrent des textes aiguisés, tous de Renaud, sur des belles mélodies signées du chanteur mais aussi de Julien Clerc, Jean-Louis Roques (fidèle accordéoniste et arrangeur), Amaury Blanchard (batteur de Renaud de longue date, que j’ai eu le plaisir de croiser récemment au concert des Excellents), Pierre Delas, ou encore François Ovide, Alain Labacci et Mourad Malki.
Sommaire
La Ballade de Willy Brouillard
Renaud choisit d’ouvrir son album en prenant tout le monde à contrepied. Lui qui avait fustigé les flics par exemple dans Les Charognards, Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? ou Déserteur, nous conte ici le quotidien d’un policier, finalement pas si éloigné que celui d’Angelo dans Baston ! ou du motard dans La chanson du loubard. Mais loin de virer de bord, le chanteur énervant nuance son propos en fin de chanson, et évite tout manichéisme. Des années plus tard, il chantera J’ai embrassé un flic… lié au contexte particulier des attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, et de la marche citoyenne qui a suivi quelques jours après.
À la Belle de Mai
Ambiance marseillaise pour ce pamphlet à l’encontre de Bernard Tapie. Même s’il n’est pas directement nommé dans les paroles, ce parisien qui offre des coups à boire à tout le monde, apprend aux gamins à jouer au football, et finit par chuter et repartir à Paris, est le portrait craché de l’homme d’affaires. Lors d’une interview au journal L’Humanité le 6 avril 1995, Renaud a déclaré que, Tapie étant à l’époque dans une situation inconfortable, il ne voulait toutefois pas « tirer sur l’ambulance ».
C’est quand qu’on va où ?
En faisant parler sa fille Lolita, procédé qu’il a déjà utilisé dans Marchand de cailloux et qu’il réitère dans Mon amoureux, Renaud exprime sa vision un brin désenchantée de l’éducation, de la société. La très belle musique de Julien Clerc sert parfaitement ce texte mélancolique.
Le Sirop de la rue
La nostalgie de l’enfance est un thème récurrent dans l’œuvre de Renaud. De Mistral gagnant à Mon paradis perdu, en passant par Adieu l’enfance, le chanteur a souvent exprimé un regard tendre sur ses jeunes années. Il y a même consacré un album entier à ce sujet, Les mômes et les enfants d’abord en 2019. À la différence des chansons précitées, celle-ci est sur un rythme et un tempo enlevés, avec une musique à nouveau signée Julien Clerc.
Devant les lavabos
Renaud a beaucoup écrit sur les femmes : Ma gonzesse, Miss Maggie, Dans ton sac… entra autres. Cette chanson est dans la même veine, entre tendresse masculine et légère pointe de machisme gentil.
Cheveu blanc
Se souvenir de l’enfance, c’est aussi prendre conscience du temps qui passe… À travers une sorte de nombrilisme au second degré, Renaud évoque l’angoisse de vieillir, et même de mourir, avec humour.
Le petit chat est mort
Sur la musique du fidèle Jean-Louis Roques (accordéoniste et arrangeur de Renaud depuis 1980), le chanteur glisse ses idées sur la liberté par le biais de l’existence risquée des chats de gouttière. Et toujours cette adresse à sa fille qui parcourt toute sa discographie depuis Morgane de toi. Comme un fil rouge entre l’artiste et le public.
Adios Zapata !
Prendre le parti des trafiquants de drogue… il fallait oser. Mais là encore, Renaud refuse toute vision manichéenne. Il n’y a pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre, le monde est légèrement plus compliqué que ça… Et Julien Clerc compose cette troisième musique de l’album, qui s’accorde parfaitement avec le texte.
Son bleu
De la nostalgie encore, mais cette fois pour la génération des parents. Renaud avait déjà évoqué son oncle mineur dans Oscar. Il rend ici à nouveau hommage aux ouvriers de tout poil. Les paroles dépeignent une époque qui semble révolue, et la musique est une nouvelle fois signée Jean-Louis Roques.
Mon amoureux
Texte tendre et drôle où Renaud dresse le portrait de son gendre idéal. On peut légitimement se demander si Renan Luce qui a partagé la vie de Lolita cochait toutes les cases. En digne héritier artistique, Gauvain Sers a écrit une chanson un peu sur le même principe avec Pourvu où il énumère les qualités qu’il attend de sa compagne.
Lolito Lolita
On croirait entendre un morceau du répertoire réaliste du 19ème siècle. Renaud n’a jamais caché son admiration pour des artistes comme Bruant, et il a toujours affiché sa culture des chansons populaires que ce soit à travers l’accordéon ou ses reprises, notamment dans l’album en concert Le P’tit Bal du samedi soir et autres chansons réalistes. Ici, les chœurs de polyphonie corse donnent une couleur qui à la première écoute m’ont fait penser à la version des Canuts par Yves Montand, une couleur musicale en totale adéquation avec les paroles. C’est le Renaud social qui s’exprime ici.
La Médaille
Et pour parachever cet esprit d’insurgé et de révolté, le disque se referme sur un petit bijou mélodique et textuel. Renaud n’y va pas de main morte et crie son dégoût de la guerre, de l’armée et des « maréchaux assassins ». À sa sortie, la diffusion de la chanson sur France Inter entraîna une plainte de l’Association de soutien à l’armée française (ASAF) envers la radio et son président Michel Boyon. En septembre 1997, le tribunal correctionnel de Paris relaxa le prévenu, considérant que la chanson contenait effectivement des offenses envers l’armée mais que seul le ministre de la Défense pouvait intenter des poursuites (source : Wikipedia). Une histoire similaire à ce que Montand avait vécu avec Quand un soldat dans les années 50.
Touche pas à ma sœur !
Ce titre ne figure pas sur l’album, mais est issu des mêmes sessions. Personnellement, je l’ai découvert sur le longbox 3 CD, Anthologie des années Virgin, sorti en 2002. Le morceau est daté de 1995, sans doute l’année de sa sortie en single. Il figure également sur la compilation Les introuvables.
Le thème traite des dérives de l’enthousiasme exacerbé des jeunes envers les rock-stars, dans un texte teinté d’humour avec Renaud en grande forme pour le sketch de « MC Roger sur Débilos Radio ». Côté musique, les crédits indiquent « JJ Cale ». Pendant longtemps, je me suis demandé quelle était cette chanson de J.J. Cale que Renaud avait adaptée, en questionnant par exemple des admins d’un site de fans du chanteur français, mais en vain. Et ce n’est qu’aujourd’hui en faisant mes recherches pour cette chronique que j’ai enfin trouvé la réponse ! Il s’agit de Daylight, un titre enregistré par J.J. Cale sur Mad Dogs & Okies un album du batteur Jamie Oldaker avec moult invités (Clapton, Gill, white, Mahal…). Ne faisant pas partie de la discographie officielle de Cale, cela explique la difficulté que j’avais eu à le trouver.
Ce sera mon cadeau pour les 30 ans de À la Belle de Mai : avoir enfin fait le lien entre Daylight et Touche pas à ma sœur ! Ce n’est pas forcément mon album préféré de Renaud, mais c’est le sien. Et c’est tout de même un opus que j’aime écouter régulièrement. Un disque trentenaire aujourd’hui et qui fêtera ses 3 décennies en coffret deluxe la semaine prochaine.
© Jean-François Convert – Novembre 2024
Jolie chronique sur un album qui ne l’est pas moins. Parmi les grands chansons de ce disque , il y a « C’est quand qu’on va ou? » qui fera un joli succès sur les ondes . Un dernier disque avant une éclipse de 7 ans et le début de la fin pour l’ex chanteur énervant , gavroche du TOP 50.