En octobre 1972 arrivait dans les bacs ce premier album, sans titre, de Maxime Le Forestier.
Sommaire
L’album d’une génération
Après avoir débuté en duo avec sa sœur dans les années 60, Maxime (de son vrai prénom Bruno) Le Forestier sort ce premier disque solo en 1972, sans titre, mais qu’on appelle parfois Mon frère, du nom de la chanson d’ouverture. Entretemps il a fait son service militaire en 1969 où il se fait remarquer pour indiscipline, et il est parti aux Etats-Unis en 1971. Sur les conseils d’un ami, il s’est rendu à San Francisco et a vécu plusieurs mois avec la communauté hippie ‘Hunga Dunga’ dans une maison victorienne… de couleur bleue, et adossée à une colline (Jimi Hendrix lui, avait sa maison rouge).
Si on ajoute à cela le manque de ne pas avoir eu de frère, l’attirance pour la musique folk ou la chanson française de Brassens et Moustaki, un mélange de poésie, de rébellion et de sensualité, on obtient le cocktail d’un album qui a marqué toute une génération. Celle des colonies de vacances et des feux de camps au son des chants accompagnés à la guitare.
Comme j’ai eu l’occasion de le lui dire en interview en 2019, j’ai appris à jouer de la guitare notamment à travers quelques-unes de ses chansons. Quel ado n’a pas un jour cherché les accords de San Francisco ? Et en souvenir de cette soirée, Maxime m’a dédicacé justement cet album :
Un album que je connais par cœur et où chaque morceau est un petit bijou d’écriture et de composition.
Mon Frère
Le disque s’ouvre en mode rock symphonique avec orchestre grandiloquent (dirigé par Hubert Rostaing) pour une très belle mélodie (bien qu’il ma confié lors de l’interview qu’il n’était pas satisfait du changement harmonique sur le refrain qu’il jugeait encore aujourd’hui comme « une erreur musicale ») et un très beau texte. Maxime s’imagine le frère qu’il n’a jamais eu… mais qui s’avérera exister réellement ! Il le découvrira et rencontrera plus tard. Un demi-frère dont il ne connaissait pas l’existence au moment d’écrire cette chanson, devenue une de ses plus célèbres. La version en rappel sur le live Bataclan 89 est dépouillée au possible :
Éducation sentimentale
Paroles de Jean-Pierre Kernoa (de son vrai nom Jean-Pierre Lemaire) et mélodie en forme de fugue. Ballade bucolique et amoureuse typique de l’esprit des seventies, guitare en bandoulière et fleurs dans les cheveux, couplée avec un certain côté raffiné qui évoquerait presque le marivaudage façon 18ème. Là encore, la version du live Bataclan 89 est assez unique puisqu’elle est chantée intégralement par le public, avec Maxime accompagnant seulement à la guitare. Il m’a confirmé en interview qu’il n’y avait rien eu de calculé, et que l’assistance a entonné la chanson de façon tout à fait impromptue, spontanée, et naturelle. Comme j’envie les personnes présentes ce soir là. Des frissons à chaque écoute :
La rouille
Paroles à nouveau de Jean-Pierre Kernoa, qui évoquent aussi bien l’amour qui se tarit, le temps qui passe, que le désir de liberté et d’éradication de la guerre. Toujours sur le live Bataclan 89, elle ouvrait le concert et était enchainée avec After Shave, par des arpèges très pop du guitariste Jean-Michel Kajdan, qui faisaient office de l’entrée en scène du groupe, le chanteur ayant débuté seul avec La Rouille. Sur le disque, elle s’enchaine avec le morceau suivant en une sorte de pont à la fois lyrique et symphonique.
Mourir pour une nuit
Ce morceau qui s’enchaine à La Rouille, toujours sur un texte de Kernoa, reprend les accents orchestraux de Mon frère. On est en 1972, le rock progressif culmine outre-manche, et ce mélange de chansons et d’arrangements symphoniques est tout à fait dans l’air du temps. De même que l’alternance mineur/majeur entre les couplets et le refrain. Les versions live de l’époque laissaient la part belle à la contrebasse :
Marie, Pierre et Charlemagne
Le même procédé harmonique se renouvelle dans cette très belle comptine : couplets en mineur, refrain en majeur. Le lien entre école et Charlemagne est ici bien plus poétique et subtil que le tube de France Gall en 1964…
Comme un arbre
La deuxième face du vinyle s’ouvre sur un manifeste écologique (mais avec aussi un clin d’œil révolutionnaire : la « barricade ») écrit et composé à quatre mains par Maxime et sa sœur Catherine (qui participe également aux chœurs de l’album). Les arrangements en studio sont plutôt jazzy au niveau du rythme et du piano et le refrain final vire à l’emphase avec un message pour étendard : oui, il y a 50 ans, certain-es s’inquiétaient déjà de la profusion du béton…. on ne peut pas dire aujourd’hui « on ne savait pas » !
En live, Maxime Le Forestier choisit une orchestration plus resserrée en adoptant la formule trio chère à Brassens. Son idole, pour qui Maxime aura l’honneur d’ouvrir le tour de chant à Bobino ce même mois d’octobre 1972.
Fontenay-aux-Roses
La plume de Kernoa nous chante une ode à l’amour libre, quoi de plus normal en ce début des années 70. Lors du concert en décembre 2019, Maxime et son fils Arthur avaient interprété un superbe Mash-up de cette chanson mêlée à Éducation sentimentale. Une performance qui m’avait subjugué, chaque mélodie étant en contrepoint l’une de l’autre. Hasard du calendrier, une version similaire de 2022 vient d’être mise en ligne avant-hier sur la chaine YouTube du chanteur :
Parachutiste
Son service militaire de 1969, Maxime le Forestier s’en souvient mais sans doute que ses supérieurs hiérarchiques s’en souviennent aussi ! Mai 68 était passé par là, et la jeunesse exprimait son rejet de l’autorité d’où qu’elle vienne. L’esprit indiscipliné et le caractère rebelle du jeune Maxime font qu’il est incapable de s’adapter à l’esprit de corps de son régiment. Il en fait tant à rebours qu’il est d’abord interné à l’infirmerie, avant que le régiment se débarrasse de lui en l’envoyant achever son service dans un bureau à Paris.
Ce passage dans les troupes aéroportées au 13e Régiment de dragons parachutistes de Dieuze lui inspire la chanson qui devient rapidement un hymne antimilitariste dans les milieux étudiants. Sa sœur Catherine l’interprète dès sa sortie et Joan Baez la reprend en 1973. Le dernier vers sarcastique passerait sans doute mal aujourd’hui et serait probablement qualifié de message « anti-flic ».
N.B. Les paroles de ‘Parachutiste’ ne figurent pas dans le livret du CD, comme si la page avait été enlevée… censure ?
Je ne sais rien faire
Même si le titre peut être considéré comme « mineur » sur l’album, j’aime bien cette couleur blues-country-cajun et l’introduction de la clarinette qui tire vers le dixieland. Le petit frenchy est revenu d’Amérique avec des histoires de songwriter folk dans sa besace, et ça s’entend.
San Francisco
Une chanson qui évoque les rêves perdus de la vie en communauté, l’utopie d’un monde meilleur où on n’aurait plus besoin de fermer les maisons à clés, le bonheur des choses simples, et la musique qui soigne tous les maux. S’il y a bien un morceau qu’on peut qualifier d’incontournable des feux de camps c’est celui-ci. Maxime Le Forestier a eu l’intelligence de le revisiter dans les années 80 en lui apportant des arrangements électriques feutrés (en 2019, il la jouait à nouveau seul à la guitare). Encore une fois, la version sur le live Bataclan 89 est une de mes préférées :
Ça sert à quoi
L’album se referme sur une ambiance mi-gospel mi-folk avec piano et chœurs. « Ça sert à quoi tout ça pour le peu qu’il nous reste à vivre » chante le jeune chanteur… il était sans doute loin de se douter qu’il entamait alors le début d’une longue carrière !
Et un demi-siècle plus tard, Maxime Le Forestier continue de se produire sur scène et d’enregistrer des albums. Son frère, la maison bleue adossée à la colline de San Francisco, le pensionnat de Fontenay-aux-Roses, la petite Marie et son ami Pierre, les paras qui se recyclent chez leurs petits-frères, les arbres qui se débâtent entre béton et bitume, ou les fleurs sauvages qui font des ravages dans les cœurs d’enfants… toutes ces paroles résonnent encore en nous. Elles fleurissaient aux bout des canons de fusils rouillés, il y a tout juste 50 ans ce mois-ci.
© Jean-François Convert – Octobre 2022
C’est très beau JF ! Beaucoup de frisson et d’émotion dans ce texte. C’est vrai qu’on a eu beaucoup de chance – nous journalistes passionnés – avec certains artistes d’avoir des moments privilégiés comme entre potes pour échanger des confidences. Et qui sont restées des confidences parce que c’est ainsi. La parole donnée ça existait vraiment !
J’avais 12 ans en 1972 et j’ai eu ce 33 tour en cadeau. Je l’ai tellement écouté que je connais toutes les chansons par cœur.
Merci beaucoup Monsieur LE FORESTIER pour ces superbes chansons qui ont bercé mon adolescence. J’ai toujours votre 1er album et à 65 ans je l’écoute toujours avec autant de plaisir.