Il y a 60 ans sortait ‘Pour un poignée de dollars’

Le 12 septembre 1964 arrivait dans les salles italiennes le film ‘Pour une poignée de dollars’ d’un certain Bob Robertson, connu plus tard sous son vrai nom… Sergio Leone. Un des premiers « westerns spaghetti ».

Westerns d’un nouveau genre

Au début des années soixante, le genre western est en déclin à Hollywood. C’est l’Europe qui va récupérer ce genre cinématographique pourtant ontologiquement américain. De nombreux films sont alors tournés dans les studios Cinecittà à Rome et les alentours d’Alméria en Espagne qui offrent des décors désertiques similaires à ceux du far west. Si Duel au Texas de Ricardo Blasco en 1963 un l’un des tous premiers westerns produits en Italie (et le premier à bénéficier d’une bande originale composée par Ennio Morricone), Pour une poignée de dollars en 1964 marque réellement une pierre fondatrice du genre.

Après deux péplums, Les Derniers Jours de Pompei (co-réalisé avec Mario Bonnard) et Le Colosse de Rhodes, le jeune réalisateur Sergio Leone s’attaque à un genre dont il va devenir un des piliers dans l’histoire du cinéma : le western. Mais à l’époque, le western italien est raillé par les puristes américains qui lui donnent le sobriquet de « western spaghetti ». Si le terme est longtemps resté moqueur et péjoratif, il fait aujourd’hui office de genre culte, et Leone lui a donné ses lettres de noblesse.

Sergio Leone sur le tournage de Pour une poignée de dollars en 1964

Mais avant que son nom devienne synonyme de maitre du « western spaghetti », le réalisateur italien opte pour un patronyme qui sonne américain : Bob Robertson, subtil jeu de mot quand on sait que le père de Sergio avait pris pour nom de scène Roberto Roberti… « Robertson » signifiant « le fils de Robert » en anglais… quant à « Bob », c’est tout simplement le diminutif de « Robert »… Pourquoi ce nom d’artiste ? Sans doute ne voulait-il pas que le public fasse le lien avec le metteur en scène de péplums. Et puis pour un western, il fallait un nom qui sonne comme celui des cow-boys. Suite au succès du film, les sorties dans les autres pays feront apparaitre à nouveau le véritable nom de Sergio Leone.

Le successeur de John Wayne

Question cow-boy, pour interpréter le personnage principal, Leone fait appel à un américain, qui lui aussi va devenir une icone du genre, juste après John Wayne. Mis à part la série Rawhide, et quelques seconds rôles, Clint Eastwood est encore un parfait inconnu en 1964. Ce film va le propulser sur le devant le scène et en faire une star du jour au lendemain. Il devient l’archétype du justicier sans foi ni loi, « l’homme sans nom » (bien que la VF affuble son personnage du prénom Joe dans ses critiques).

Peu loquace, répliques à l’humour noir, regard aiguisé et perçant, mâchoire crispée qui mâchouille en permanence un cigarillo (qu’Eastwood abhorrait et dont le goût et l’odeur le mettaient de mauvaise humeur), et une silhouette longiligne qui se déplace lentement « à la manière d’un Gary Cooper » selon Leone, l’acteur en passe de devenir un mythe incarne le cow-boy taciturne à la gâchette facile.

Scènes et répliques cultes

Le scénario emprunte à Yojimbo d’Akira Kurosawa, tout comme les 7 mercenaires était une resucée des 7 samouraïs du même Kurosawa. Yojimbo était lui-même inspiré de Arlequin valet de deux maîtres,  pièce de théâtre en trois actes écrite en 1745 par… l’italien Carlo Goldoni. Pour une poignée de dollars est en quelque sorte un retour aux sources. Leone mêle le contexte rude de l’Ouest sauvage avec la truculence de la Commedia dell’arte. D’où les répliques sarcastiques qui tranchent avec le classicisme hollywoodien. « Les Baxter d’un côté, les Rodos de l’autre et moi au beau milieu » assène le personnage Eastwood qui cherche à tirer profit de la rivalité entre les deux bandes. Un appât du gain bien loin des motivations du héros des westerns américains qui défendait la veuve et l’opprimé.

La séquence d’introduction met tout de suite dans l’ambiance avec la fameuse réplique « vous m’en mettrez trois de côté » puis finalement « pas trois, quatre », emblématique du cynisme qu’on retrouvera dans la trilogie dite « des dollars », mais moins dans celle des « Il était une fois ». Le pistolero plus rapide que son ombre qui relève son poncho sur l’épaule pour annoncer le duel, la crosse du revolver ornée d’un serpent, un Clint Eastwood en passe d’entrer dans la légende, une tension savamment orchestrée, mais le tout enrobé d’un humour pince sans rire, Leone impose un style qui fait mouche.

Les personnages des westerns européens en général et des films de Leone en particulier auront souvent des armes singulières. Dès ce premier opus, l’homme sans nom arbore un revolver unique, tandis que le méchant Ramon Rodos joué par Gian maria Volonte ne jure que par la carabine Winchester. Et la scène finale donne lieu à un affrontement entre les deux méthodes avec une supercherie utilisée par l’homme sans nom, qui sera reprise en clin d’œil dans Retour vers le futur 3. « Vise au cœur Ramon ! »

Souvenir d’adolescence

Dans les années 80, je me souviens avoir vu Pour une poignée de dollars pour la première fois chez des amis qui avaient le privilège de posséder un abonnement à Canal+. La chaine offrait des multiples rediffusions mais parfois à des horaires incongrus. C’est ainsi que je me suis retrouvé à aller chez des gens pour regarder le film… à 8h du matin !

Plus tard, quand il est enfin passé sur une chaine classique (sans doute FR3), j’ai enregistré la musique directement sur la télé avec le magnétophone de mon frère et une prise comme on n’en fait plus (Din – mini jack !). La première collaboration entre Morricone et Leone préfigure déjà les célèbres bandes originales qui suivront : Un sifflement quelque peu lugubre sur un mode mineur, des voix qui semblent venir d’outre-tombe, une guitare qui sonne comme les Shadows, mais pas encore les coups de feu pour qui apparaitront sur les musiques suivantes.

Une musique au climat reconnaissable entre mille, un héros dont on ne sait pas s’il faut vraiment l’appeler comme ça, une vision de l’ouest beaucoup moins glorieuse qu’à Hollywood, un style qui allait devenir une marque de fabrique… Avec son premier western, Sergio Leone marquait définitivement les esprits. C’était il y a 60 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Septembre 2024

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