‘Honkytonk Man’ de Clint Eastwood sortait en salles il y a 40 ans

Le 15 décembre 1982 arrivait dans les salles américaines le film ‘Honkytonk Man’ de Clint Eastwood. Un de mes préférés de la filmographie du réalisateur-acteur, et une bande son que j’écoute en boucle depuis une trentaine d’années.

Le versant tendre de Clint

Pendant longtemps, Clint Eastwood a véhiculé une image virile et quelque peu machiste. Les rôles de cow-boy taciturne puis de flic désabusé ont failli le cantonner dans un carcan étroit et caricatural. Mais c’était sans compter sur son échappée en solitaire à la réalisation. Loin des studios et en marge d’Hollywood, Eastwood va mener à partir du début des années70 une carrière de réalisateur hors des chemins balisés. Celui qu’on prenait pour un facho bas du front va écrire, produire et réaliser, des films humanistes, anti-guerre, et montrer une personnalité bien plus complexe que celle qu’on voulait lui prêter.

Celui qui soutiendra Bush et Trump sortira des plaidoyers pacifistes (Josey Wales Hors-la-loi, Lettres d’Iwo Jima, Mémoires de nos pères…) ou anti-racistes (Gran Torino), ira jusqu’à se mettre en scène de façon vulnérable et fragile dans un mélodrame (Sur la route de Madison), et prendra dans l’un de ses castings une actrice transgenre (Minuit dans le jardin du bien et du mal)… « pas mal pour un facho » comme le résume le très bon documentaire Clint Eastwood la dernière légende.

Quand Honkytonk Man sort en 1982, l’acteur a déjà eu l’occasion de casser son image de mâle invincible, notamment dans Les proies de Don Siegel en 1971, sa première réalisation Un frisson dans la nuit la même année, et avec Breezy en 1973 il a commencé à dévoiler son attrait pour les histoires tendres et sentimentales. Ici il se montre à nouveau sous un jour aux antipodes de ses rôles de l’homme sans nom ou de Dirty Harry. Un anti-héros avec ses fêlures, ses faiblesses, et une personnalité qui engendre l’empathie et la bonne humeur.

L’Amérique de la grande dépression

L’histoire se déroule durant la grande dépression aux Etats-Unis, un cadre familier à Eastwood, né en 1929 et qui a vécu son enfance pendant les années 30. Sa famille voyageait de ville en ville pour suivre les multiples petits boulots de son père. Alors forcément, le road-movie ça lui parle. Un décor façon Les raisins de la colère avec son lot de laissés pour compte du rêve américain. Sans jamais virer dans le pathos, Eastwood filme les petites gens, leur misère et leur combat pour survivre. Et pour couronner le tout, le protagoniste est atteint de tuberculose.

Une ode à la musique

Ce personnage principal, joué par Eastwood, c’est Red Stovall, un musicien de country qui n’a pas encore connu le succès escompté en regard de son talent. Le réalisateur nous plonge au cœur du milieu de la musique country, notamment à travers les studios d’enregistrement de Nashville ou le Grand Ole Opry, salle mythique d’une ville par ailleurs connue comme le temple de la musique aux Etats-Unis.

La séquence où le groupe enregistre le morceau-titre montre comment pouvait se dérouler une session en studio dans les années 30. Je m’en sers régulièrement en cours d’Histoire de la Musique comme exemple parmi les différentes étapes de l’évolution des techniques de fabrication d’un disque (► ainsi que dans cette chronique) :

Après Un frisson dans la nuit où il jouait un animateur de radio diffusant des disques de jazz, Eastwood avoue son amour pour la country et le blues dans ce portrait de musicien errant. Il compose et chante plusieurs morceaux dans le film. Mais ce n’était pas la première fois qu’on l’entendait pousser la chansonnette, il avait commencé dès ses débuts à la télévision dans la série Rawhide :

Ce rôle d’auteur-compositeur-interprète peut se voir comme un parallèle avec sa carrière d’acteur-réalisateur-producteur. Mais l’analogie avec la vie personnelle de Clint Eastwood ne s’arrête pas là.

Première collaboration avec son fils

Pour essayer de rattraper le temps perdu et enfin connaitre le succès, Red Stovall parcourt le sud des Etats-Unis à la recherche de contrats. Dans ce road-trip typiquement américain, le personnage principal emmène dans ses bagages son neveu Whit, joué par Kyle Eastwood, le propre fils du réalisateur. Le voyage prend alors des airs de parcours initiatique et de transmission artistique. La complicité entre les deux inonde constamment l’écran.

Le jeune Kyle âgé à l’époque de 14 ans (il est né en 1968) interprète un gamin avec des étoiles plein les yeux lorsqu’il écoute son oncle/père jouer et chanter dans un bar miteux. Il feint de s’entrainer à reproduire les accords à la guitare sur When I sing about you, et à la fin du film il entonne un Swing Low Sweet Chariot émouvant en enterrant ce Red Stovall qui n’aura pas entendu sa chanson passer à la radio.

© Warner Bros.

Depuis, Kyle Eastwood est devenu un contrebassiste de jazz reconnu et a collaboré plusieurs fois avec son père, notamment sur les magnifiques bandes originales de Mystic River et Gran Torino, où Clint a repris à nouveau le micro pour la chanson-titre. En 2017, j’ai vu Kyle au festival Jazz à Vienne quand il jouait en trio avec Jean-Luc Ponty et Biréli Lagrène (► ma chronique du concert sur franceinfo ).

Une B.O. longtemps introuvable

En voyant le film vers la fin des années 80, j’ai immédiatement accroché à la musique. Sauf qu’il n’a pas été chose aisée d’arriver à se la procurer. La B.O de Honkytonk Man est restée introuvable pendant des années, a priori à cause d’un problème de droits d’après un vendeur de la FNAC à qui je posais régulièrement la question. J’ai donc dû longtemps me contenter de ma cassette enregistrée depuis la télé, avec dialogues inclus. Ce n’est que récemment (en 2017) que j’ai enfin vu apparaitre sur YouTube le Graal tant espéré :

Les 12 chansons font intervenir des pointures de la musique country de l’époque (David Frizzell, John Anderson, Marty Robbins) ainsi que des vétérans du genre (Ray Price, Porter Wagoner, Johnny Gimble) et la chanteuse de blues Linda Hopkins. Plusieurs de ces artistes apparaissent dans le film et sont crédités au générique de fin avec des rôles de personnages fictifs. Clint chante When I Sing About You et No Sweeter Cheater Than You, et intervient aussi sur In The Jailhouse Now. Bien qu’enregistrés en 1982, tous ces titres sonnent comme des standards des années 30, période où se déroule l’histoire.

Comme souvent dans les bandes originales de film, certaines versions sur le disque diffèrent de celles entendues à l’écran. Le cas le plus flagrant est When I Sing About You que Clint interprète seul en guitare-voix dans le film. Alors que l’album offre une version plus étoffée en rythme binaire, la scène dans le bar donne à entendre une ballade épurée en mode shuffle ternaire :

© Warner Bros.

L’autre cas notable est tout bonnement la chanson-titre Honkytonk Man qui bénéficie de pas moins de trois versions différentes :

Et c’est sur ces notes que se termine le film, après qu’on ait vu un couple allumer la radio dans sa voiture et entendre le DJ annoncer « la chanson d’un artiste prometteur : Red Stovall ». L’histoire d’un musicien qui connait le succès à titre posthume. Tout le contraire de Clint Eastwood qui signait là un de ses films que je préfère. Un film qui sortait aux Etats-Unis il y a tout juste 40 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Décembre 2022

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2 commentaires sur “‘Honkytonk Man’ de Clint Eastwood sortait en salles il y a 40 ans

  1. Très beau commentaire. Et, je me suis fait la même réflexion sur le caractère très complexe de Clint Eastwood.

  2. Film revu hier à l’institut de l’image ! Sublime et doux.merci pour votre jolie analyse.

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