Sans doute le compositeur de musiques de films le plus célèbre du monde. Pour son anniversaire, je me devais de rendre hommage à celui qui a bercé mon adolescence. Avec les illustrations de mon ami Denys Legros.
Quand on prononce le nom de Morricone, on pense instantanément westerns spaghettis et Sergio Leone. C’est certes une composante importante de sa carrière, mais il serait dommage de le réduire uniquement à ça. Ayant écouté en boucle ses musiques pendant de nombreuses années, je distinguerais 4 grands styles qui se dégagent dans sa carrière :
Sommaire
1 : Liberté et Grands Espaces
Westerns
Ennio Morricone a composé la musique de plus de 500 films et programmes télévisés. Il commence en 1961 avec Mission ultra-secrète (Il federale/The fascist) de Luciano Salce, mais son premier grand succès, la musique par laquelle il acquiert sa notoriété, est Pour une poignée de dollars de Sergio Leone en 1964. D’emblée il trouve un style qui sera le sien : à la fois influencé par les compositeurs des westerns hollywoodiens (Dimitri Tiomkin, Elmer Bernstein…) et les sixties alors en pleine effervescence pop, il mêle l’imagerie sonore des grands espaces de l’ouest (sifflement, rythme de galop de cheval, guitare acoustique, ballade folk, puis chœurs et cuivres) et un aspect plus moderne avec l’emploi de la guitare électrique, des voix scandées, et des bruitages de coups de feu et de sabots.
Cela devient immédiatement sa marque de fabrique, et tous les westerns de Leone porteront cette patte inimitable. Un de ses thèmes le plus connu est bien évidemment celui du Bon La brute et le truand (1966), dont le fameux cri d’ouverture lui aurait été inspiré en voulant reproduire le hurlement du coyote. Le travail sur l’iconographie du générique est renforcé par cette musique devenue mythique.
La ballade typique du cowboy chevauchant dans l’ouest américain a trouvé sa ritournelle iconique avec le thème de Cheyenne dans Il était une fois dans l’ouest (1968). Le bandit romantique attirait encore plus la sympathie avec cette mélodie lancinante, tantôt jouée au banjo, tantôt sifflée, sur un rythme chaloupé donnant la sensation d’être à cheval. Ce style d’arrangement sera repris maintes fois, et notamment, de façon plutôt cocasse, pour réarranger des musiques de westerns classiques, comme par exemple L’homme des vallées perdues.
Cette ambiance un brin mélancolique est accentuée dans le film suivant de Leone Il était une fois la révolution (1971), sur les morceaux I figli morti et Dopo l’esplosione. Ce mélange de ballade des grands espaces et de nostalgie désabusée :
En matière de westerns, Morricone n’a pas composé que pour Leone, et son style si reconnaissable s’est exprimé dans de nombreux films du genre. Une autre de ses plus belles compositions est celle pour Le grand silence de Sergio Corbucci (1968). Toujours cette sensation d’espace, avec une dimension tragique, qui annonce l’ambiance sombre et désenchantée du film. C’est aussi le genre de mélodie vers lesquelles va se tourner de plus en plus le compositeur.
Aventures contemporaines
Ce premier style musical n’a pas figuré que dans des westerns. Dans les années 70 et 80, il a évolué vers une emphase plus classique. On retrouve un peu ce même esprit de liberté et d’envolée dramatique par exemple dans Le professionnel de Georges Lautner (1981), que ce soit avec Le vent, le cri, ou le plus que célèbre Chi Mai. La modernité des années 80 transparaît avec la batterie et la basse bien en avant.
2 : Suspense et Tension
Duels de cowboys
Si Ennio Morricone est célèbre, c’est en grande partie pour ses partitions qui évoquent instantanément le duel dans un western. L’homme à l’harmonica est sans aucun doute le thème musical le plus repris au monde dès qu’il s’agit de pasticher un affrontement, ou de faire référence à l’univers du Far West. Un chef d’œuvre qui, là encore, mixe classicisme hollywoodien dans l’envolée finale, avec une guitare saturée directement importée du contexte rock de l’époque. Quant au tremolo plaintif de l’introduction, il a été en partie produit par l’action de Sergio Leone qui serrait et desserrait ses mains autour du cou de l’harmoniciste, afin de créer disait-il « un véritable cri de douleur ».
La version que tout le monde connait est celle sortie en single à l’époque, et figurant au milieu de la bande originale. Mais il est amusant de noter qu’elle n’apparaît à aucun moment telle quelle dans le film. Soit on entend uniquement les premières notes, jouées par le personnage de Bronson, soit le thème violent pour l’apparition de Frank (Henry Fonda). Et quand à la fin, lors du duel final, le morceau arrive enfin en entier, c’est dans une version légèrement différente, notamment avec une phrase de reprise du thème, avant la chute :
à 5’47 sur la vidéo :
à 3’01 sur l’audio :
A travers les westerns de Leone, Morricone compose l’archétype de la musique du duel : la tension générée par quelques notes (par exemple celle de la montre dans Et pour quelques dollars de plus), puis une montée crescendo jusqu’à un paroxysme sonore, précédant de peu la mise à mort d’un des protagonistes. Le parallèle avec la corrida n’est pas innocent, l’apogée musicale de ces morceaux étant très souvent portée par des cuivres aux intonations ibériques, que ce soit dans Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, ou le célèbre « triel » du Bon la brute et le truand.
Gendarmes et voleurs
Mais s’il y a un genre cinématographique prédestiné pour les scènes de suspense, c’est naturellement le polar. Et après avoir symbolisé le western dans les sixties, Morricone va embrasser les seventies en devenant le chef de file des compositeurs de musiques de films policiers : Le clan des Siciliens, Le casse, Le serpent, Le Trio infernal, Peur sur la ville… puis les années 80 avec I comme Icare, Espion lève-toi, Le Marginal, Les Incorruptibles….pour ne citer que quelques uns parmi son œuvre foisonnante.
Le thème du Clan des Siciliens est lui aussi devenu l’archétype de la musique de gangsters. Sa guimbarde instille une ambiance de suspicion, tandis que les cordes jouent un magnifique contrepoint à la première mélodie qui tourne en boucle.
Et puis par moments, les couleurs siciliennes s’invitent dans la musique comme le morceau ci-dessous à partir de 1’41. Ennio Morricone sait rappeler qu’il est italien, car, outre que c’est lié au sujet du film, il est évident que ses racines lui ont donné cette sensibilité particulière, qui rejaillit dans ces notes méridionales.
Dans le registre inquiétant voire angoissant, le compositeur a signé des musiques lugubres et glaçantes, comme celles de Peur sur la ville d’Henri Verneuil (1975) ou Les incorruptibles de Brian De Palma (1987) :
3 : Classicisme et Lyrisme
Bien qu’associé dès le début de sa carrière aux musiques de westerns qui suscitent la tension du spectateur, Ennio Morricone a su très tôt s’en démarquer et proposer le contrepied avec des mélodies superbes, empreintes d’un classicisme assumé. Ainsi, dès Et pour quelques dollars de plus et Le bon la brute et le truand, il a introduit un lyrisme romantique avec instruments à vents délicats et cordes majestueuses.
A noter que le thème musical de cette scène de la mort du soldat confédéré figure en chanson sous le titre Story of soldier pendant le passage à tabac de Tuco. Le morceau est joué par l’orchestre des prisonniers pour couvrir les bruits de torture, Leone faisant ici directement allusion à cette même méthode ignoble utilisée dans les camps de concentration. C’est à ma connaissance la première musique de Morricone qui devient une chanson avec des paroles
La trilogie des Il était une fois
La dimension lyrique de Morricone va réellement s’exprimer sur les 3 films suivants de Leone, ceux dont le titre commence par « il était une fois ».
Le compositeur compose parmi ses plus belles mélodies, qui sont toutes magnifiées par la voix d’Edda Dell’Orso. Cette chanteuse soprano était déjà apparue dans la bande originale du Bon la brute et le truand sur le titre Ectasy of gold, pendant la scène où Tuco court à travers le cimetière de Sad Hill à la recherche de la tombe d’Arch Stenton.
On peut également l’apercevoir dans une rare vidéo de 1967, lors d’un passage à la télévision italienne, où elle interprète une pièce du compositeur, intitulée La nostra notte. Elle est la 4ème chanteuse en partant de la gauche. Ennio Morricone est interviewé par la présentatrice au début de la vidéo :
Cette voix semble repousser les limites en terme de tessiture, et ces musiques n’auraient sans doute pas connu leur immense célébrité sans elle.
Le thème du personnage de Jill dans Il était une fois dans l’ouest est resté dans toutes les mémoires et figure parmi les plus connues du compositeur, et même des musiques de films, toutes catégories confondues. Le final est somptueux.
La mélodie de Il était une fois la Révolution s’envole dans les airs, et illustre les flasbacks du film, quand Sean se remémore son Irlande, au cœur d’un triangle amoureux.
Enfin, le troisième film de la trilogie, Il était une fois en Amérique, contient l’un des plus beaux morceaux (sinon le plus beau) jamais composé par Morricone : Deborah’s Theme. Il accompagne à merveille la nostalgie du personnage joué par De Niro
Les années 70
Le style « classique » de Morricone s’est exprimé dans bien d’autres films, impossible de les citer tous. Quelques exemples des seventies :
A noter que la musique de A l’aube du 5ème jour a servi de générique à l’émission Italiques sur la deuxième chaîne qui s’appelait à l’époque Antenne2.
Les années 80
Enfin, deux musiques de films sortis dans les eighties parachèvent ce style lyrique et romantique.
Le thème principal de Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore (1988) fait lui aussi partie des plus belles mélodies du compositeur. On peut le voir ici à Venise en 2007, diriger cette superbe romance :
L’intégralité de la bande originale du film est un délice, à l’instar du violon qui accompagne Toto et Alfredo dans leur amitié indéfectible.
Dans Mission de Roland Joffé (1986), le hautbois de Gabriel apparaît comme une arme bien dérisoire face aux conquistadors, mais semble faire corps avec la forêt Amazonienne, et nous transporte dans des sphères spirituelles.
Et en terme de spiritualité, Ennio Morricone s’affirme ici en digne successeur des grands compositeurs de musique sacrée, avec cet Ave Maria Guarani
Le thème Brothers mêle à la fois la gravité de l’histoire et une légèreté qui nous déleste de nos peines.
4 : Humour et Légèreté
Et justement, la légèreté est un aspect un peu moins connu de la carrière du compositeur, mais pourtant bien présent. Ennio Morricone a toujours su s’adapter aux ambiances des films et apporter la couleur musicale adéquate.
C’est dans Il était une fois la révolution qu’on entend pour une des premières fois ce style guilleret, sautillant, qui pourrait aussi bien évoquer l’école buissonnière des enfants de Juan, que le caractère parfois absurde de la révolution elle-même, concept que lui explique Sean, fort de son expérience à l’IRA.
Ce style alerte est repris dans Mon nom est personne de Tonino Valerii (1973). Une ambiance d’insouciance, de vie au présent, de liberté, d’enfance. Le sifflotement (joué à la flûte) n’a plus ici la couleur sombre et inquiétante des premiers westerns, mais donne au contraire cette sensation de légèreté.
Et c’est au cours des seventies que ce style va être le plus utilisé, car en phase avec les modes musicales du moment. Le genre cinématographique qui fait alors recette n’est plus le western, mais plutôt le vaudeville, et Morriconne signe la musique des deux premiers numéros de La Cage aux folles d’Édouard Molinaro (1978 et 1980), dans un esprit qui peut faire penser aux musiques de Vladimir Cosma
Et même lorsqu’elle lorgne du côté glamour-disco, la musique de Morricone garde toujours une classe indéniable
Un même thème dans différents styles
Un des grand talents d’ Ennio Morricone est d’adapter une même mélodie dans les différents styles qu’on vient de voir. Un même thème musical peut ainsi prendre une couleur radicalement différente, selon les arrangements. C’est bien évidemment le propre des musiques de films et beaucoup d’autres compositeurs pratiquent ce procédé, mais Morricone y excelle. 3 exemples (il y en a bien sûr beaucoup d’autres) :
Et pour quelques dollars de plus
Dans ce western dur et cynique, les duels sont rythmés par le célèbre tintement de la montre de l’Indien (dit “Thème du carillon”) puis par une mélodie aux accents dramatiques, jouée tour à tour à l’orgue d’église aux accents baroques, ou à la trompette dans une atmosphère hispanique :
à 3’10 :
à 3’30 :
Et c’est exactement cette même mélodie qui est reprise de façon classico-romantique pour dire “adieu au colonel” (à 5’38 sur la vidéo précédente) :
Il était une fois en Amérique
Le magnifique thème principal du film est d’abord joué en orchestration classique avec un lyrisme poignant, lors des séquences tragiques, ou celles sur le souvenir :
Puis il est repris façon jazz New Orleans, au temps où la bande des jeunes voyous était encore ensemble et insouciante, avant la mort tragique du jeune Dominic
Cette orchestration complètement différente s’adapterait presque plus au style vaudeville, mais la maîtrise de Morricone le fait coller parfaitement aux images du film de gangsters, tout en reprenant la trame mélodique de la musique principale.
Amapola
Le morceau Amapola est un classique qui n’est pas de Morricone, mais il a su l’adapter à différentes séquences. La première fois qu’on l’entend dans le film est lors du premier flashback, lorsque Noodles (De Niro) épie la jeune Deborah (Jennifer Connelly) danser. Le style est délicieusement rétro, en référence à l’époque de la scène, et d’ailleurs la jeune danseuse écoute le morceau sur son gramophone :
Plus tard dans le film, lors du rêve de Noodles, le morceau prend des airs emphatiques et symbolise parfaitement l’onirisme de la scène
Enfin, et c’est là un tour de force musical à souligner, Morricone termine le film en utilisant Amapola comme contrepoint de Deborah’s Theme. Bien avant l’heure des mash-ups, le compositeur italien mixe naturellement ces deux morceaux comme s’ils avaient été faits l’un pour l’autre. Ecoutez attentivement à partir de 1’10, c’est tout simplement du grand art.
NB : pour ceux qui ont aimé la musique de ce film, je recommande vivement la “special edition” sortie en 1998, qui contient plusieurs inédits dont une suite des différents thèmes la demo du morceau “Poverty” (joué au piano) et un thème non retenu pour la bande originale
Une galerie de personnages
Il est à noter qu’une des particularités de la musique de Morricone est d’associer des thèmes musicaux aux personnages des films. Ainsi, en écoutant les bandes originales, il arrive très souvent d’avoir immédiatement en tête les visages des protagonistes. Mon ami Denys en a croqué quelques uns.
Les autres musiques de Morricone
Un tube avec Joan Baez
Pour le film Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo (1971), Morricone compose une phrase musicale simple, répétée dix fois. Les deux premiers cycles sont sans paroles, puis Joan Baez a composé un texte inspiré par les mots de Bartolomeo Vanzetti au juge Thayer. La chanson est devenue l’une des plus connues de la chanteuse, au point qu’elle la chantait encore lors de sa tournée d’adieu cet été.
L’histoire singulière de l’enregistrement du morceau est détaillée sur Wikipedia
La musique « absolue »
C’est par ce terme que le compositeur désigne sa musique de concert (en réaction à la musica applicata, appliquée à un sujet, par exemple le scénario d’un film). Il débute dans ce registre en 1946. En 1965 il intègre le groupe d’improvisation et de composition avant-gardiste Nuova Consonanza.
Son concerto pour orchestre de 1957 :
J’avoue très humblement ne pas connaitre ce versant de la carrière d’Ennio Morricone (Vous trouverez plus d’infos sur la page Wikipedia).
Preuve qu’il me reste encore tant à découvrir de ce compositeur génial, dont j’espère vous avoir donné envie de vous (re)plonger dans son oeuvre.
Merci à Denys Legros pour les illustrations
© Jean-François Convert – Novembre 2019
Tout simplement génial !