Le 13 décembre 1977, Ed Bicknell découvrait pour la première fois le groupe Dire Straits. le début d’une collaboration de 15 ans et de plus de 20 ans avec Mark Knopfler.

Un groupe différent

À l’automne 1977, après avoir enregistré trois maquettes en studio (en juillet, octobre et novembre) le quatuor Dire Straits signe avec John Stainze chez Phonogram un contrat pour trois albums. Début décembre, Stainze leur trouve un manager en la personne d’Ed Bicknell afin de prendre en main leur carrière et notamment d’organiser leurs tournées.

Bicknell travaille à l’agence NEMS et s’occupe essentiellement de groupes New Wave américains du label Sire. Il a été batteur et a joué entre autres avec le bassiste John Wetton, futur King Crimson et Asia, puis est devenu agent. Au moment où Phonogram le contacte, il pense quitter le milieu de la musique tant sa dernière expérience avec Richard Hell et les Void-Oids l’a complètement vidé. « le pire groupe auquel j’avais jamais eu à faire » précise-t-il. Mais quand il entend la bande demo de Charlie Gillett il est immédiatement impressionné. Il est invité à aller assister à un concert de Dire Straits au club Dingwalls, situé au nord de Londres. Quand il arrive, le groupe est en train de jouer Down to the Waterline.

« La première chose que je remarquais, c’est qu’il n’y a avait pas besoin de se tenir au fond de la salle, ils avaient un son très doux. je venais de faire les Ramones qui étaient assourdissants. Vous absorbiez simplement leur musique en entrant, vous pouviez pour de bon avancer jusqu’aux premiers rangs sans en prendre plein les vertèbres. »

Ed Bicknell in Dire Straits (p.63) – Michael Oldfield – Albin Michel – 1984

Une guitare emblématique

« La deuxième chose, c’était que Mark jouait sur une Stratocaster rouge, ce qui me fit immédiatement penser à Hank Marvin que j’avais idolâtré dans les années 60. »

Ed Bicknell – in Dire Straits (p.63) – Michael Oldfield – Albin Michel – 1984

Cet élément est très intéressant pour les aficionados de six-cordes et particulièrement des guitares de Mark Knopfler. En effet, le guitariste a fait l’acquisition d’une première Stratocaster entre 1976 et 1977 (date exacte inconnue). Il s’agit du modèle de 1961 avec touche en palissandre, instrument qu’il possède encore et qui a servi de référence pour la production du modèle signature de chez Fender en 2003. À l’origine, le corps était en finition naturelle et n’a été repeint en rouge (par Steve Philips) que durant l’été 1978. Les photos des concerts de l’automne 77 montrent Mark avec cette guitare :

La seconde Stratocaster, de1962, avec corps rouge et touche érable, apparait pour la première fois sur une photo du concert au Roundhouse, le 29 janvier 1978, tirée d’une édition de Q Magazine sortie en 1987 :

On peut donc supposer que ce concert de début décembre est l’un des tous premiers où Mark jouait avec cette guitare, dont il avait dû faire l’acquisition quelques semaines, voire quelques jours auparavant. Il est amusant de noter que ce qui allait devenir l’emblème iconique du groupe était en fait extrêmement récente et qu’à quelques jours près, Ed aurait vu Mark sur scène avec une Strato en finition naturelle !

Une collaboration fructueuse

Guitare rouge ou pas, Ed Bicknell aurait de toute façon été séduit par la musique de Dire Straits. « Je me suis en somme coulé dans les chansons. ce qu’ils jouaient était la matière du futur premier album » raconte-t-il toujours dans ce même livre de Michael Oldfield paru en 1984. « Dès le deuxième ou troisième morceau, j’ai su que je voulais manager ce groupe ». Et même s’il renverse la Stratocaster en trébuchant dessus lorsqu’il va rencontrer le groupe en coulisses après le concert, lui et Mark Knopfler vont finir par bien s’entendre au point de collaborer ensemble plus d’une vingtaine d’années.

Le travail d’Ed Bicknell pour monter Dire Straits au firmament est énorme. Ses choix de tournées, de promotion, de sorties d’albums, d’exposition du groupe etc… ont indiscutablement aidé à l’évolution de carrière du simple quatuor des débuts jusqu’au mastodonte des eighties remplissant des stades aux quatre coins du globe.

Et Mark et Ed joueront même ensemble au sein des Notting Hillbillies dans les années 90. Le manager reprendra les baguettes alors qu’il n’avait été prévenu qu’au dernier moment par les autres membres, juste autour d’un coup à boire dans un pub : « ah au fait Ed, on a décidé de créer un nouveau groupe… et c’est toi le batteur. »

Mais cette relation se terminera de façon plutôt amère, Mark congédiant son agent en 2000 lors de l’enregistrement de son deuxième album solo Sailing to Philadelphia. L’histoire raconte que le songwriter-guitariste aurait annoncé à son manager son limogeage en arrivant un matin au studio, avant même d’avoir enlevé son casque de scooter. Knopfler voulait changer d’orientation dans sa carrière en allant sur un terrain plus tranquille, tandis que Bicknell pensait pouvoir continuer dans le même esprit que les années Dire Straits.

On ne peut que lui reconnaitre son apport indéniable qui a propulsé le groupe sur le devant de la scène pop-rock. Et en tant que fan de Dire Straits on lui doit une fière chandelle d’avoir eu ce flair un soir de décembre 1977. C’était il y a tout juste 45 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Décembre 2022

Source : Livre Dire Straits par Michael Oldfield – Albin Michel – 1984