Le 19 février 1971 sortait ce troisième disque de Yes, groupe en passe de devenir un des fers de lance du rock progressif.
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Un tournant avec un nouveau guitariste
A mon goût, c’est vraiment à partir de ce troisième album que Yes commence à devenir réellement intéressant. Il est d’ailleurs considéré par beaucoup de critiques comme le tournant véritablement progressif du groupe. Les deux premiers opus ne sont pas mauvais, mais je trouve qu’il leur manque quelque chose. Et ce Yes album passe vraiment à la vitesse supérieure.
L’arrivée du nouveau guitariste Steve Howe n’y est sans doute pas étrangère. Il remplace Peter Banks et apporte une virtuosité impressionnante. Mais plutôt que d’aller sur le terrain des hard-rockeurs de l’époque, il prend le contrepied total avec des sonorités jazz et aériennes. Son intro sur Yours Is No Disgrace marque immédiatement un nouveau style, qui va imprégner le groupe dans les seventies.
Et il démontre sa maitrise des différents styles avec le morceau Clap (indiqué The clap sur les premiers pressages). Un instrumental à la couleur country dans un fingerpicking inspiré par Chet Atkins et Merle Travis, et que Marcel Dadi popularisera plus tard. C’est le premier morceau composé par Steve Howe.
Des compositions plus complexes
L’autre élément crucial qui marque le tournant musical est la structure des morceaux qui devient plus élaborée. On n’est pas encore dans les longues pièces de 20 minutes qui fleuriront sur les albums suivants, mais les changements de tonalités, ruptures rythmiques, et mélodies alambiquées annoncent déjà la complexité architecturale des futurs Close to the edge, Tales from topographic oceans, ou Relayer.
Ainsi, I’ve Seen All Good People se divise en deux parties, et Starship trooper est composé de trois mouvements. La marque du rock progressif, s’affranchir du format classique couplet-refrain pour aller vers des structures relevant plus de l’esprit de la musique classique. Et souvent, les compositions sont collectives, mettant en œuvre l’alchimie entre les musiciens.
Des ambiances multiples
L’album passe par des atmosphères musicales très différentes. Yours Is No Disgrace enchaine synthé grondant et riff de guitare à la wah-wah, en passant par une walking-bass très swing. Starship trooper débute avec un premier mouvement lumineux et lyrique, qui débouche sur un intermède central à tendance folk-rock, avant de se clore sur un final lancinant et obsédant. A Venture semble démarrer comme une chanson pop, avant de subir une disruption harmonique, la faisant basculer dans un climat étrange au piano presque dissonant. Perpetual change débute dans une ambiance jazzy, avant de verser dans style pur prog. A l’inverse, I’ve Seen All Good People commence par une intro solennelle et quasi-mystique, avant d’embrayer sur un shuffle swing-blues endiablé.
Toutes ces couleurs musicales proviennent d’arrangements ciselés et peaufinés. On note d’ailleurs quelques overdubs, notamment de guitare, par exemple sur Perpetual change, ou le final de Starship trooper. Une formule qui sera abandonnée sur les disques suivants où la plupart du temps, Steve Howe ne superposera pas les couches de guitare (à part de rares exceptions) et préfèrera jouer dans une configuration « live », sans doute pour pouvoir assurer une exécution fidèle sur scène.
Une pochette bizarre
Premier album du groupe avec Steve Howe, c’est aussi le dernier avec le claviériste Tony Kaye qui sera remplacé par Rick Wakeman sur Fragile en 1971. Ce même Tony Kaye qu’on aperçoit la jambe dans le plâtre sur la pochette.
Avant que Roger Dean n’illustre les futurs disques du groupe, Yes pose une dernière fois sur cet album pour la traditionnelle photo de groupe. Mais celle-ci semble presque ratée, en tout cas prise à la hâte.
Et en effet, la séance photos a eu lieu le lendemain d’un concert, au retour duquel les membres du groupe ont eu un accident de voiture, et été blessés à des degrés divers. Anderson semble porter une minerve, et Kaye a la jambe dans le plâtre. Le photographe Phil Franks emmène les musiciens chez lui, directement après leur sortie d’hôpital, avec une tête de mannequin qu’il récupère au passage. Elle apparait également au verso du disque.
Les futures pochettes d’albums de Yes seront de véritables œuvres picturales, mais celle-ci ne rend pas vraiment justice à la musique qu’on trouve sur le troisième opus du groupe. Plutôt que de s’attarder sur cette photo verdâtre, réécoutons une fois encore le superbe contenu musical de cet album, sorti il y a tout juste 50 ans aujourd’hui.
© Jean-François Convert – Février 2021