Actuellement à l’affiche, le film ‘Au rythme de Vera’ (en V.O ‘Köln 75‘) raconte les coulisses du fameux concert de Keith Jarrett à Cologne en janvier 1975.
Le 24 janvier 1975, Keith Jarrett joue à l’opéra de Cologne. Une date parmi d’autres au cours de sa tournée européenne où il joue en solo et improvise chaque soir une musique différente et unique. Ce concert est enregistré et sort en disque la même année sous le titre The Köln Concert. Même si ce n’est pas le préféré de l’artiste, il s’agit de l’album le plus connu et reconnu de Jarrett, ainsi qu’un album important dans l’histoire du jazz. C’est à ce jour l’album de jazz en solo et l’album de piano qui s’est le mieux vendu : 4 millions d’exemplaires !
Ce concert et son enregistrement sont entourés de légendes, avérées ou non, sur l’état de santé de Jarrett, le modèle du piano… et le fait qu’il a failli ne pas avoir lieu. Comme souvent dans ce genre d’histoires, il est difficile de séparer le vrai du faux. Max Dozolme de France Musique nous en raconte quelques aspects dans cette vidéo :
Autour de cet événement devenu culte dans le milieu discographique, le Scénariste-Réalisateur-Producteur israélien Ido Fluk a construit un film où il s’attache à l’histoire de celle qui a œuvré pour que ce concert ait lieu : Vera Brandes. Jeune allemande de 17 ans en 1973, passionnée de jazz, elle se lance dans la promotion de concerts, en débutant avec Ronnie Scott (celui-là même qui ouvrira son propre club à Londres, où se sont produits moult musiciens, par exemple les Notting Hillbillies). Elle déploie toute son énergie à l’organisation du récital de Jarrett, malgré la réticence de ses parents, notamment de son père. Le long-métrage se divise en plusieurs parties, dont la principale est consacrée au conflit familial.
Au rythme de Vera (titre français, celui orignal étant Köln 75) s’attarde sur les rapports père-fille, il explore aussi et surtout le parcours semé d’embûches pour parvenir à mettre en place ce fameux concert. Le prologue nous spécifie d’ailleurs la teneur du discours en faisant l’analogie avec Michel-Ange peignant le plafond de la chapelle Sixtine à l’aide d’un échafaudage :
« ce film ne parle pas de Michel-Ange, ni de la chapelle Sixtine…il parle de l’échafaudage «
De l’avis dubitatif du directeur de l’opéra jusqu’au piano défectueux, en passant par le financement exigé en avance, on suit toutes les péripéties auxquelles doit faire face Vera Brandes pour monter son projet, et la chose n’est pas aisée. En parallèle de son parcours du combattant, on assiste également aux coulisses de la tournée de Jarrett, à son moyen de transport improbable, ses anecdotes pittoresques, et une réflexion sur la musique, l’improvisation, l’art… à travers ses échanges avec le personnage fictif du journaliste musical Michael Watts (« inspiré de plusieurs journalistes musicaux bien réels », dixit le réalisateur Ido Fluk).

Celui-ci intervient à plusieurs reprises comme une sorte de narrateur omniscient, en s’exprimant face caméra, directement au spectateur (le personnage de Vera le fait aussi plusieurs fois). La séquence où il raconte l’évolution du jazz est plutôt jouissive pour les amateurs de musique et en même temps vulgarise habilement le discours pour les néophytes. Un style de mise-en-scène qui m’a parfois rappelé celui de Jean-Pierre Jeunet, façon Amélie Poulain : une interaction ludique avec le spectateur, où les personnages semblent s’extirper de la diégèse du film et où l’écran s’agrémente d’indications didactiques qui expliquent ou complètent ce qu’on est en train de voir et d’écouter.


Enfin, le réalisateur a dû relever le défi de ne pas utiliser un seule extrait musical du concert dont parle le film, faute d’accord de Keith Jarrett, qui n’aime pas cet enregistrement et le considère comme bien inférieur à nombre de ses autres prestations. C’est ainsi que la séquence finale se clôt sur To Love Somebody des BeeGees version Nina Simone, alors qu’on aurait aimé entendre le pianiste dans ses œuvres.

De son propre aveu, Ido Fluk n’a pas voulu faire un film sur le concert, ni sur la musique ou même le jazz, mais un film sur Vera Brandes et réhabiliter son obstination qui a permis la réalisation de ce moment artistique unique. Au rythme de Vera rend hommage à celle qui de 1974 à 1999 a produit plus de 350 albums et assuré l’organisation et la promotion de très nombreux concerts, festivals et tournées, et qu’on aperçoit à la toute fin du film aux côtés des deux actrices qui l’interprètent à 20 et 50 ans. Elle a ensuite entamée une seconde carrière chercheuse en musicothérapie ainsi que plus largement sur les effets de la musique, et a ainsi échappé au chemin tout tracé de la tradition familiale.


Quand elle a été contactée par l’équipe du projet, ses premiers mots ont été : « Enfin ! Mais où étiez-vous pendant tout ce temps ? » Ido Fluk précise : « Elle attendait depuis des années que quelqu’un raconte son histoire. » C’est chose faite avec ce film qui plaira à celles et ceux qui aiment la musique, mais aussi la vie tout simplement, et qui croient en leurs rêves.
© Jean-François Convert – Juillet 2025