Le 13 août 1974, Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois se produisaient à la ‘Superfrancofête’ sur la scène des plaines d’Abraham, dans la ville de Québec. Le concert a donné lieu à l’album ‘J’ai vu le loup, le renard, le lion’ sorti pile un an plus tard.
La playlist n’étant pas disponible sur YouTube, vous pouvez la retrouver sur Apple Music ou Spotify :
J’ai été adolescent durant les années 80. Mais, à de rares exceptions (Thriller par exemple), je n’écoutais pas la musique de ma génération. J’écoutais celle de mes parents : du classique, du jazz, des musiques de film, et de la chanson française. Dans ce dernier style, le disque J’ai vu le loup, le renard, le lion a longtemps tourné sur mon électrophone noir et orange. Même si je ne comprenais pas toutes les subtilités des textes, j’étais absorbé par la qualité des mélodies.
Les « trois grands »
D’abord, il y avait les chansons de Félix Leclerc qui m’ont toujours fait penser à Brassens avec cet accompagnement épuré à la guitare, et ces paroles où pointe souvent un humour pince-sans-rire, et une aspiration à vivre en marge de la société (Contumace et son ode à l’oisiveté teintée de musique et de philosophie). Et comme chez tonton Georges, la musique y était aussi importante que les textes. Moi mes souliers, Le p’tit bonheur, Bozo, Contumace, Un soir de février… et d’autres, sont aussi des petites merveilles mélodiques en plus de distiller des paroles tour à tour poétiques, caustiques, voire pamphlétaires (Les 100 000 façons). En tant que doyen, il a l’honneur d’ouvrir le bal, seul sur scène avec sa guitare… et ses souliers.
Puis, dans l’ordre des générations vient Gilles Vigneault. De l’emphase et du lyrisme avec Pendant que, Il me reste un pays, ou Mon pays repris en chœur par le public, du folk festif avec La danse à St-Dilon, une légende obsédante dans La Manikoutai, une critique sociale acerbe dans Ti-cul Lachance, et surtout la romance impossible et poignante de Gros-Pierre avec sa ritournelle du refrain, elle aussi chantée par le public :
Ti deli dam didelam didelou
Ti deli dam didelam dame li doux
Enfin, le benjamin de la bande Robert Charlebois apporte sa fraicheur juvénile en mâtinant le concert de rock (Entre deux joints introduit par Hound dog et son adresse au public « aimez-vous le rock’n’roll ? », mais aussi Que-Can Blues) et de ses succès pop du moment (Ordinaire, Le mur du son et l’incontournable Lindberg).
Les « trois grands » comme on les surnomme souvent chantent au final peu de morceaux ensemble : La Marche du président est surtout un duo entre Charlebois et Vigneault, même si Leclerc lance la chanson. Les deux voix de Charlebois et Leclerc se complètent sur Complot d’enfants, tandis qu’on entend de belles harmonies vocales (mais pas d’indication précise de qui, il me semble entendre Vigneault) sur Sensations, dont les paroles sont tirées d’un poème de Rimbaud. Un titre repris récemment par Jean-Louis Aubert.
Mais le clou du spectacle est bien évidemment leur reprise de Quand les hommes vivront d’amour de Raymond Lévesque, qui clôt le concert de façon magistrale.
Pour une raison que j’ignore, la version filmée que l’on peut trouver sur YouTube (ci-dessous) est différente de celle sur le disque (ci-dessus). Cela signifie-t-il qu’ils l’ont chantée deux fois ? Qu’il y a eu un autre set qui ne figure pas sur le disque ?
Le contexte de ce concert est en effet singulier et constitue un événement marquant dans l’histoire du Québec, comme j’ai pu le découvrir bien après avoir écouté le disque pendant des années.
Une fête mémorable
Ce n’est que plus tard que je me suis intéressé à connaitre ce qu’il y avait autour de cette journée particulière appelée la Superfrancofête. Wikipedia nous apprend qu’il s’agissait du « Festival international de la jeunesse francophone, un événement culturel et sportif qui s’est déroulé à Québec du 13 au 24 août 1974. Rassemblant plus de 25 pays, il a été co-organisé par l’Agence de coopération culturelle et technique (ancêtre de l’Organisation internationale de la Francophonie) et les gouvernements du Québec et du Canada. La Superfrancofête a mis en vedette de nombreux athlètes et artistes de renommée internationale, provenant d’une multitude de pays et de disciplines. L’événement a été notamment marqué par son spectacle d’ouverture à grand déploiement, réunissant pour la première fois sur scène Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois. »
« Ce festival a permis de créer des liens entre les citoyens de la communauté francophone internationale, attirant plus de 1 248 850 visiteurs sur ses différents sites. Par son envergure sans précédent et sa programmation novatrice pour l’époque, la Superfrancofête est l’une des fêtes populaires les plus marquantes de l’histoire de la capitale québécoise. »
On comprend ainsi mieux les clameurs du public et l’engouement sur les chansons qui sont souvent des odes au Québec (Mon pays, Il me reste un pays, Lindberg, Que-Can Blues), et à la mise en valeur de la francophonie (Un soir de février). Wikipedia à nouveau nous précise les connotations politiques de plusieurs chansons. « Si Charlebois se fait plus discret sur ses opinions politiques, Leclerc et Vigneault ponctuent toutes leurs chansons par des déclarations nationalistes et indépendantistes ».
Ce qui m’a poussé à en savoir plus sur cet évènement, c’est lorsque j’ai trouvé l’album en CD dans une réédition de 1998. Les notes de pochette indiquaient cette fameuse Superfrancofête et le concert qui s’était déroulé sur les Plaines d’Abraham, qui forment la majeure partie du parc des Champs-de-Bataille, l’un des grands parcs urbains de la ville de Québec.
50 ans après, c’est l’une de mes filles qui se trouve à Québec et foule de ses pieds les plaines d’Abraham… La musique sur ce disque demeure pour moi intemporelle et conserve toute sa fraicheur même un demi-siècle plus tard. Et l’écouter encore aujourd’hui me procure toujours « un p’tit bonheur ».
© Jean-François Convert – Août 2024