En mars 1974 arrivait dans les bacs ‘Two for the Road‘, le 3ème et dernier album que Joe Pass et Herb Ellis ont enregistré ensemble.
En 1989-90 je suis à la Fac et quand j’écoute de la musique à dominance de guitare(s), c’est principalement du blues et du rock. Question jazz, je connais plutôt Louis Armstrong, Dave Brubeck, Eroll Garner, Duke Ellington, Count Basie, etc… Le seul guitariste de jazz que j’ai déjà entendu régulièrement c’est Django Reinhardt. Aussi, quand un camarade de promo (Rémi, si tu me lis), lui aussi guitariste, me passe une copie cassette de cet album, je découvre une autre façon d’aborder l’instrument.
L’alternance permanente entre mélodie et accompagnement, une frontière floue entre les deux rôles, l’utilisation du contrepoint plutôt que des accords… bref des manières de jouer de la guitare qui me changent totalement des riff marqués et des solo en pentatonique mineure ! Il faut dire qu’avec ces deux guitaristes-là, on est en présence de pointures du jazz :
- Joe Pass, de son vrai nom Joseph Antony Jacobi Passalaqua, américain d’ascendance sicilienne (1929-1994) a été le premier guitariste de jazz à jouer seul sur scène, sans orchestre d’accompagnement, en mélangeant tout à la fois accords et solos.
- Herb Ellis, de son vrai nom Mitchell Herbert Ellis, lui aussi américain (1921-2010) a joué avec le trio d’Oscar Peterson qui a accompagné les plus grands, de Stan Getz à Dizzy Gillespie, en passant par le duo Ella Fitzgerald – Louis Armstrong.
Ils ont enregistré trois disques ensemble : Joe’s Blues en 1968 (paru en 1998), Jazz/Concord en 1972, et donc ce Two for the road en 1974. La particularité de cette troisième collaboration, est qu’ils ne sont que tous les deux, à la différence des deux autres où ils étaient accompagnés par un groupe.
Seulement deux guitares, et pourtant tout est là : la mélodie, l’harmonie, le rythme, les basses, les aigus…
C’est vraiment ce qui m’a frappé à la première écoute : il ne manque pas de contrebasse, de batterie, ou de piano. Les deux guitaristes remplissent l’espace sonore à eux deux et se suffisent à eux-mêmes. Ils se complètent, se répondent, s’écoutent, s’interpellent… c’est un véritable dialogue de guitares qu’on entend au fil de ces 13 titres.
Des ambiances jazz bien sûr, mais aussi légèrement blues (Am I Blue, Guitar Blues), ou encore latino (Manha De Carnaval) et même soul avec le classique Try A Little Tenderness, popularisé à l’origine par Otis Redding. Plusieurs morceaux sont impressionnants de technique et notamment de vélocité, mais pas uniquement. La difficulté ne réside pas toujours forcément dans l’exécution des solos, elle est aussi dans l’enchainement d’accords complexes, et l’astreinte à assurer une rythmique solide et régulière derrière le soliste. D’ailleurs, les deux musiciens n’étalent pas leur virtuosité, mais au contraire font parler leurs instruments ensemble dans une osmose musicale qui peut toucher même les non-guitaristes. C’est la principale qualité de cet album, il n’est pas élitiste et s’adresse à tout le monde.
Bien des années après avoir écouté en boucle ma cassette, j’ai retrouvé Two for the road en format CD, une réédition fidèle au vinyle d’origine. Un disque sorti il y a 50 ans ce mois-ci.
© Jean-François Convert – Mars 2024
Joe Pass est une encyclopédie d’accords, en électrique ou en acoustique, il reste un virtuose. Ses partitions ne sont accessibles qu’aux guitaristes confirmés.