Le 26 juin 1977, Dire Straits jouait derrière Farrer House à Deptford, quartier du sud-est de Londres. Le tout premier concert d’une très longue série à venir sur les 15 années suivantes.

Une date imprécise

Les souvenirs des différents protagonistes ne s’accordent pas de façon précise sur la date. Le livre écrit par Michael Oldfield (paru en 1985) évoque juillet 1977. Le livret de la tournée Brothers in arms précisait le 9 juillet. Mais il semble que ce soit bien le 26 juin, date du premier festival ‘Crossfields’ dont le show était clôturé par le groupe Squeeze, formé lui aussi à Deptford quelques années auparavant.

Récemment, David Knopfler a retrouvé son ancien journal qui mentionne la date du 18 juin, soit une semaine avant. Était-ce la date prévue à l’origine et le festival a-t-il été reporté ? On peut raisonnablement se fier au flyer du concert daté au 26. Quant au concert de juillet évoqué dans le livre, il y a de fortes chances qu’il soit confondu avec celui au Albany Empire le 28 juillet, là encore juste avant Squeeze (ce deuxième concert de Dire Straits est pourtant également cité dans le livre la page suivante). J’ai posé la question à David sur la probabilité que le festival ait été reporté et il m’a répondu dans ce sens :

Un nom de groupe provisoire

Mais si le 28 juillet, le groupe se nomme enfin Dire Straits, ce 26 juin c’est encore le nom de l’ancienne formation de Mark Knopfler qui est utilisé : les Café Racers. David fait même imprimer des T-Shirts à cette effigie pour l’occasion. Mark a joué avec les Café Racers entre 1976 et 1977. Il les retrouvera le temps d’une jam impromptue durant l’année 1980, où se joint également Pick Withers :

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Contrairement aux années qui vont suivre, ce concert du 26 juin 1977 n’emballe pas le public. Il faut dire que Dire Straits est plutôt à contre-courant de la mode punk du moment. John Illsley raconte : « il y avait une trentaine de groupes punk ce jour-là. Certains jouaient sur des guitares n’ayant que trois cordes. Ils chantaient ‘mon vieux est un con’ et ‘je hais ma putain de mère’, le tout complément faux. tout ça était tordant ». David Knopfler aussi se souvient : « C’était un super-concert, très marrant ».

Une photo bizarre

La seule photo qui reste de ce tout premier concert est étrange : les personnes accoudées ou sur la barrière n’ont pas la bonne proportion en regard du groupe sur la scène. Certains fans ont évoqué la possibilité de mannequins ou poupées. Pour ma part je pense qu’il s’agit plutôt d’un mélange de deux photos par inadvertance. Soit le négatif s’est mal enclenché dans l’appareil et la prise de vue a créé une surimpression de deux clichés (ça m’est déjà arrivé), soit c’est au tirage que deux négatifs ont été malencontreusement superposés.

On n’aura jamais le fin mot de l’histoire mais cette photo nous apporte quelques indications sur les instruments utilisés et donc la façon dont ont pu être joués les morceaux.

Des arrangements inédits

Mark joue sur sa Les Paul Special, sa guitare de prédilection au sein de Café Racers. En ce mois de juin 1977, a-t-il déjà fait l’acquisition de sa première Stratocaster de 1961 ? Difficile d’en avoir la certitude. Sur cette photo on distingue la guitare National, et ce qui semble être la Telecaster Custom de 1968. David joue sur la Telecaster Thinline. Mais a priori pas de Strato à l’horizon.

Ce qui est sûr c’est qu’elle sera là au concert du 2 août 77 à Tramshed Woolwich comme on peut le voir sur les photos ci-dessous (à noter que le corps est encore en finition naturelle, il ne sera repeint en rouge par Steve Phillips que l’été suivant).

Par ailleurs, il est clair que les démos du 27 juillet sont enregistrées avec une Stratocaster. Donc même si Mark ne l’avait pas encore ce 26 juin, il l’a achetée au plus tard courant du mois de juillet 77.

Ce qui est sûr c’est que pour leur première prestation, les Dire Straits qui s’appellent encore les Café Racers jouent durant une demi-heure une setlist comprenant les morceaux suivants (d’après le livre de Michael Oldfield) :

• Sultans of swing
• Down to the waterline
• Southbound again
• In the gallery
• Wild west end
• deux chansons de Ry Cooder, et une de Brenda Lee : Sweet Nothing

Il est intéressant de noter que Mark joue Wild West End sur la guitare National. Cette partie rythmique caractéristique en open tuning se retrouvera sur la démo quelques semaines plus tard, ainsi que sur la version album, enregistré en février-mars 78. Mais assez rapidement, Mark va abandonner cette idée en live, et pour les concerts suivants il optera pour la partie lead à la Strato, tandis que David jouera la rythmique sur la Telecaster Thinline (elle aussi accordée en Open tunning : LA pour la Telecaster, SOL pour la National). C’est d’ailleurs dans cette configuration qu’ils miment le clip de la chanson, filmé en juillet 78. Mark joue sur sa deuxième Stratocaster de 1962 avec touche en érable, acquise très probablement à l’automne 77, et l’autre Strat de 1961 avec la touche en palissandre est en train d’être repeinte à cette période :

Entre 1977 et 1980, Mark jouera Wild West End sur Stratocaster (Fender puis Schecter en 80), privilégiant la partie lead. En revanche, sur la tournée Brothers in arms en 1985 il reprend la guitare National pour la partie rythmique, laissant à Jack Sonni le soin de clôturer la chanson sur un solo… pas toujours de très bon goût à mon humble avis :

Une coïncidence énorme

Sur cette même tournée 1985-86 figure aux percussions un certain Joop de Korte. Ce néerlandais a rejoint le groupe en 1979 en tant que technicien batterie et percussionniste occasionnel et discret : sa timidité le pousse à jouer d’abord derrière le rideau, il ne se montrera sur scène qu’en 1985. On peut notamment le voir sur la scène du Live Aid, aux côtés de Terry Williams (par exemple à 8:45) :

Et coïncidence énorme, Joop de Korte était roadie pour Squeeze lors de ce concert du 26 juin 1977 ! Bien qu’il dise n’avoir aucun souvenir de la prestation du quatuor cet après-midi-là, il a donc croisé Dire Straits pour leur tout premier concert, avant de les rejoindre quelques années plus tard et de rester dans l’équipe jusqu’à la fin du groupe. Il s’est depuis quelques temps installé dans le pays basque.

Les débuts d’un grand groupe

Quand on voit la carrière qu’a connu Dire Straits, il était difficile d’imaginer ce 26 juin 1977 que ce quatuor hors-mode de l’époque allait à ce point casser la baraque. Peut-être un peu trop au goût de Mark Knopfler qui a préféré mené une carrière solo plus à son image : discrète, tranquille, loin des feux de la rampe.

Mais en 2009, une plaque a été apposée sur le mur de l’immeuble Farrer House, indiquant qu’ici avait eu lieu le premier concert de Dire Straits. Il est juste mentionné l’année 1977, sans précision de date, ni même de mois. Ce prix, décerné par la PRS (Performing Right Society) For Music, s’inscrivait dans le cadre d’une campagne nationale visant à mettre en lumière les zones où des événements musicaux importants ont eu lieu. Entourés de quelques fans, Mark et John ont assisté à la petite cérémonie. Sur une des photos, on peut voir l’affiche d’un concert au Albany Empire, mais c’est celui du 2 juillet 1978.

Un concert donné sur l’espace vert derrière cet immeuble de Farrer House où les quatre musiciens partageaient un modeste appartement. Quatre jeunes « dans la dèche » se produisant sur une scène presque improvisée, avec la sono branchée directement sur l’installation électrique de John, en passant par la fenêtre de la chambre de Mark ! Bien malin qui aurait pu prédire leur destinée ce jour-là… un concert donné il y a tout juste 45 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Juin 2022