À 83 ans, l’organiste américaine s’est entourée de jeunes musiciennes françaises pour son disque ‘Lady All Stars’, sorti le 14 janvier.
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Un octet 100% féminin
À 83 ans, l’organiste américaine entourée par la génération montante des jazzwomen de l’hexagone nous montre que sa Leslie n’en a pas fini de tourner.
Une volonté dans la continuité d’une carrière qui n’a cessé d’affirmer la place des femmes dans le jazz, un mouvement dont elle fut l’une des pionnières. En témoigne le titre de son précédent album avec le Lady Quartet We Free Queens de 2017. Un Lady Quartet devenu depuis un Lady All Stars où l’on retrouve bon nombre des femmes qui font le jazz français d’aujourd’hui.
Les figures fortes qui participent à cet ensemble ne sont autres que les grandes :
- Sophie Alour (saxophone ténor)
- Airelle Besson (bugle, trompette)
- Céline Bonacina (saxophone baryton)
- Lisa Cat-Berro (saxophonealto)
- Géraldine Laurent (saxophone alto)
- Anne Paceo (batterie)
- Julie Saury (batterie)
Guidé par une artiste exceptionnelle et généreuse, véritable fée de l’orgue Hammond, cet ensemble au groove fougueux, (double batteuses oblige) est salué par toute la planète jazz.
Sur City of the Rising Sun, composé par Lisa Cat-Berro, le baryton de Céline Bonacina et l’orgue de Rhoda lancent un appel auquel le reste du big band s’empresse de répondre…
L’histoire du Lady All Stars
Formé à l’origine en 2004 avec Sophie Alour au saxophone ténor, Airelle Besson à la trompette et Julie Saury à la batterie, le groupe est devenu, à partir de 2007, un quartet à deux saxophones avec l’arrivée de Lisa Cat-Berro qui succède à Airelle Besson. Toutes ces musiciennes mènent carrière en leur nom : Sophie Alour, à la tête de projets qui l’ont vu voyager de Broadway à l’Orient ; Lisa Cat-Berro, qui développe en quartet un univers personnel teinté de pop, de folk et de chanson ; Julie Saury, qui cultive son swing en trio avec Carine Bonnefoy et Felipe Cabrera comme aux baguettes du Duke Orchestra.
À ces trois fidèles partenaires, Rhoda Scott associe quatre consœurs musiciennes, pour composer le fameux ‘Lady All Stars’ : Géraldine Laurent au saxophone alto, Airelle Besson au bugle et à la trompette, Céline Bonacina au baryton, et Anne Paceo à la batterie. Les deux batteries et la présence renforcée de soufflants permettent à l’organiste de constituer ainsi un véritable «mini big-band» dont l’énergie funky et les riffs mélodiques viennent exacerber la dynamique résolument joyeuse de cette musique.
« Jouer avec ces jeunes consœurs m’a stimulée et j’ai appris beaucoup d’elles. Après les concerts, des spectatrices me disent aussi que ça leur fait du bien, et que nous sommes des modèles possibles pour leurs filles. »
Rhoda Scott à l’occasion de ses 80 ans se confiait au magazine Télérama
- R & R (Rhoda Scott) 5:32
- City of the rising sun (Lisa Cat-Berro) 4:45
- Les châteaux de sable (Anne Paceo) 5:28
- Laissez-moi (Julie Saury) 6:04
- Golden age (Lisa Cat-Berro) 5:59
- Escapade (Airelle Besson) 6:03
- I wanna move (Sophie Alour) 5:11
- Short night blues (Rhoda Scott) 5:12
Une légende de l’orgue Hammond
Rhoda Scott est née en 1938 aux États-Unis, à Dorothy, dans le New Jersey. Fille d’un pasteur itinérant, elle a grandi dans l’ambiance des petites églises afro-américaines. C’est là, en accompagnant les gospels et les negro spirituals dès l’âge de huit ans, qu’elle révèle une sensibilité musicale exceptionnelle à l’orgue.
Résolue à parfaire son éducation musicale et sa maîtrise instrumentale, elle entre à la Manhattan School of Music de New York où elle obtiendra un grand prix avec mention spéciale du jury et un Master I en 1967.
Elle vient pour la première fois en France en juillet 1967 pour terminer ses études de contrepoint et d’harmonie au Conservatoire américain de Fontainebleau auprès de Nadia Boulanger, qui a enseigné (notamment) à Aaron Copland, Pierre Henry, Phillip Glass, mais aussi Quincy Jones.
Riche d’un tel parcours, Rhoda Scott est à l’aise quel que soit le contexte : musique classique, jazz, gospels et blues. Douée d’une mémoire exceptionnelle, elle peut jouer des centaines de thèmes, tout en étant capable de composer une bonne part de son répertoire.
Count Basie la découvre et l’engage pour jouer dans son club à Harlem. C’est là qu’ Eddy Barclay, de passage à New York avec son ami Raoul Saint-Yves l’entend. Frappés par l’originalité de son style et de son expression, ils lui proposent de venir à Paris. Responsable du prestigieux club de jazz, le Bilboquet, Raoul Saint-Yves l’engage à partir de juillet 1968. L’année suivante paraît sur Barclay un premier album 33-tours, Take a Ladder, sur lequel, accompagnée par le batteur Daniel Humair, elle reprend des standards de jazz aussi bien que des thèmes de West Side Story ou sa composition Take a Ladder . Le succès est immédiat, aussi bien critique que populaire.
Dominant parfaitement l’orgue Hammond, le fameux B3, associé à trois cabines Leslie, Rhoda Scott enregistre et se produit généralement avec le seul soutien d’un batteur, produisant elle-même les basses grâce au pédalier d’orgue. C’est pourquoi elle a pris l’habitude de se déchausser pour jouer, ce qui lui a valu le surnom de « The Barefoot Lady », vite francisé en « L’organiste aux pieds nus » !
Elle épouse en octobre 1969 Raoul Saint-Yves qui sera aussi le producteur des nombreux enregistrements qui vont jalonner sa carrière, généralement associés à une circonstance (Live At The Olympia en 1971, In New York With the Thad Jones-Mel Lewis Jazz Orchestra en 1976, With Kenny Clarke en 1977, etc.) ou un thème particulier (Ballades en 1973, Orgues de Noël en 1977, Negro Spirituals en 1983, etc.). Tous publiés sur la marque Barclay. En 1978, Eddy Barclay remettra un trophée à Rhoda Scott attestant de plus 500 000 albums vendus.
A l’heure du Compact Disc, alors que beaucoup de ses albums vinyles sont réédités ou compilés, elle signe un contrat avec le label Verve et enregistre Frame For The Blues (1992), Feeling The Groove (1993) et Alone (1997). En 2003 paraît Encore, Encore, Encore sur Sunnyside où elle est accompagnée par le batteur Lucien Dobat.
Rhoda Scott est aussi très souvent sollicitée pour apporter la puissance évocatrice de l’orgue Hammond. S’il est impossible de citer ici toutes ses participations et collaborations, on peut mentionner Organ Masters avec Emmanuel Bex, Thierry Eliez, Stephan Patry et Benoît Sourisse, Soul Sisters avec la chanteuse La Velle, Rock My Boat avec David Linx et André Ceccarelli ou Djangolized avec la violoniste Aurore Voilqué . Sur scène, on l’a vue au côté d’Ella Fitzgerald, Ray Charles, George Benson, etc…
A l’occasion du festival Jazz à Vienne, elle crée en 2004 le Rhoda Scott Lady Quartet avec les musiciennes Sophie Alour (saxophone ténor), Airelle Besson (bugle) et Julie Saury (batterie). Une formule qui va perdurer avec le remplacement d’Airelle Besson par Lisa Cat-Berro (alto sax), et sera souvent présentée au Sunset à Paris et en tournée. En 2017, Stéphane Portet, le propriétaire du Sunset, crée un label pour enregistrer l’album We Free Queens, avec le renfort de Géraldine Laurent, Anne Paceo et Julien Alour.
Commandeur dans l’ordre des Arts et Lettres depuis le jour de ses 80 ans, Rhoda Scott réside régulièrement à Chartres. Elle est la marraine de chœur de l’université du Mans, dirigé par Evelyne Béché. En 2010, à l’occasion du festival du Printemps des orgues, elle a accompagné le Chœur des Mauges de Beaupréau, sous la direction de Katika Blardone.
En 2014, 47 ans après son premier Master, elle a obtenu un Master 2 de recherche « Master of Arts in Jazz History & Research» de la Rutgers University à Newark, New Jersey. Pour fêter ses 80 ans, Rhoda Scott s’est entourée de la génération montante des jazzwomen de l’hexagone. La grande dame de l’orgue Hammond nous propose un jazz généreux au swing teinté de blues : une musique aussi enjouée que foisonnante, à la portée de tous !
Infos via Marie-Claude Nouy